Nomades digitaux : le revers de la carte postale

Gran Canaria, un paradis coincé entre tourisme de masse et télétravail nomade.

Gran Canaria, une île espagnole située dans l’océan Atlantique au nord-ouest de l’Afrique et faisant partie des îles Canaries, est une destination bien connue parmi les nomades digitaux. Son climat presque parfait tout au long de l’année attire l’attention de nombreux travailleurs d’esprit aventureux. Par contre, ceux plus expérimentés savent que cette perfection a un prix : une augmentation du nombre de remote workers entraîne des tensions avec les habitants locaux et suscite des préoccupations environnementales croissantes.

Les locaux ont exprimé leur mécontentement face à l’arrivée massive de nomades digitaux et à la montée du tourisme sur l’île. Des graffitis et affiches avec des messages tels que “Digital Nomad Go Home” et “Tourists Not Welcome” témoignent d’un malaise grandissant envers une population perçue comme responsable de la crise du logement et de la hausse du coût de la vie.

Photo: Tourinews

Des manifestations ont même eu lieu à Las Palmas, la plus grande ville et capitale de la province. Selon les manifestants, le tourisme de masse actuel met en difficulté une grande partie de la population de cet archipel espagnol. Des organisations environnementales telles que Greenpeace et le WWF ont soutenu le mouvement : les organisateurs réclament des mesures immédiates, telles qu’une limitation du nombre de touristes, l’instauration d’une taxe écologique pour les visiteurs et une régulation du marché immobilier en restreignant les achats par des étrangers.

Et les inquiétudes ne s’arrêtent pas là : le mode de vie des nomades digitaux, bien que séduisant, soulève des préoccupations environnementales majeures, notamment en raison des émissions de carbone liées à leurs déplacements fréquents. Au-delà des voyages aériens, l’utilisation intensive des technologies numériques contribue également à l’empreinte carbone globale.

Pour atténuer ces impacts, plusieurs pratiques écoresponsables sont recommandées aux nomades digitaux :​

  • Privilégier le slow travel : rester plus longtemps dans une destination réduit la fréquence des vols et favorise une immersion culturelle plus profonde.
  • Optimiser le vol : si l’avion est indispensable pour rejoindre certaines destinations, quelques gestes peuvent aider à en minimiser l’impact, comme limiter le nombre de vols courts-courriers et privilégier les trajets directs (les décollages et les atterrissages sont les plus polluants).
  • Choisir des modes de transport à faible émission : le train, en particulier en Europe et en Asie, est une excellente alternative, émettant en moyenne 14 fois moins de CO₂ par passager que l’avion, selon l’Union Internationale des Chemins de Fer (UIC).
  • Opter pour des hébergements éco-responsables : de plus en plus d’hôtels et d’auberges adoptent des pratiques durables. Recherchez des établissements certifiés par des labels comme Green Key, Ecolabel Européen ou EarthCheck. Une autre option est de louer un logement via des plateformes comme Airbnb, en sélectionnant des critères écologiques.
  • Réduire sa consommation numérique : être nomade digital implique d’utiliser des appareils électroniques et de dépendre d’Internet pour le travail et les loisirs. La pollution numérique est une réalité souvent sous-estimée. Donc, réduire l’usage de la vidéo en ligne, opter pour des appareils économes en énergie et choisir des services de cloud verts sont des gestes simples mais efficaces.
  • Consommer local et de saison : acheter des produits locaux réduit les émissions liées au transport et soutient l’économie locale. Selon le rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’agriculture est responsable d’environ 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Adopter une alimentation plus responsable peut donc faire une vraie différence.

De plus en plus, surtout parmi les nomades européens, la conscience écologique grandit. João Reis, 46 ans, Portugais, après avoir vécu en Asie et en Amérique du Sud en tant que nomade digital, en est un bon exemple. Avec son épouse, ils s’apprêtent à devenir parents d’ici un mois, et ont décidé de s’établir à Las Palmas.

João Reis à la terrasse avec ses potagers / Photo: Maurice Koutchika

La proximité avec le Portugal et leur famille a été un facteur important dans leur décision. Mais ce n’est pas la seule raison : engagé de longue date dans la cause environnementale, João réfléchit beaucoup à l’impact de ses actions. Aujourd’hui, il travaille dans un espace de coworking plutôt agréable, où l’on trouve même des petits potagers sur la terrasse, cultivant des aliments consommés dans leur quotidien.

Pourtant, la plupart des nomades digitaux semblent penser autrement : pour eux, la vie d’un DN est soutenable à long terme. Ils se concentrent sur le présent, sur la stabilité de leurs revenus, leur passion pour le voyage et la découverte de nouveaux pays. Leur empreinte carbone ou l’avis des habitants de Gran Canaria ne semblent pas vraiment les préoccuper.

Gran Canaria incarne ainsi les contradictions d’un monde en mutation : entre quête de liberté individuelle et nécessité de préservation collective. Si les nomades digitaux ont redéfini le travail et le voyage, ils sont désormais invités à réfléchir à l’impact de leur mode de vie sur les territoires qu’ils occupent temporairement. Il s’agit d’un équilibre difficile à trouver : concilier mobilité et responsabilité, ouverture au monde et respect des équilibres locaux. Car pour que ce paradis reste vivable pour tous, il faudra penser à de nouvelles façons de cohabiter – ensemble.